L’association femmes et mathématiques a adressé ce texte à la commission présidée par Pierre Mathiot, chargée de réfléchir à la réforme du baccalauréat.
Nous sommes très inquiètes au sujet des différences dans les choix d’orientation filles/garçons. Il est essentiel d’anticiper ce que la réforme pourrait provoquer à ce sujet : une aggravation de la pénurie de femmes scientifiques et ingénieures et un renforcement des vocations féminines pour les métiers liés au secteur du soin et des services.
Actuellement, le système éducatif n’est pas favorable à l’orientation des filles. Au lycée, depuis une dizaine d’années, la proportion de filles en série S stagne autour de 46%. A l’entrée dans le supérieur, les filles ne représentent que 29% des étudiants en CPGE scientifiques et 25% en sciences fondamentales et applications à l’université.
Alors qu’elles sont bonnes dans toutes les matières, les filles se détournent des sciences, en particulier des mathématiques, mais aussi de l’informatique. Culturellement, les mathématiques ne correspondraient pas à la « nature féminine ». En revanche, la médecine, comme toutes les orientations qui cantonnent les filles dans le secteur du soin, du service aux autres, attire de très nombreuses filles en dépit de la difficulté et de la longueur des études. Elles s’y sentent à leur place et la société entière (y compris le système éducatif) leur fait comprendre qu’elles y sont effectivement à leur place.
Certes l’école ne peut à elle seule résoudre un problème engageant toute la société. Néanmoins, elle joue un rôle fondamental dans la reproduction des inégalités et détient le pouvoir d’agir à différents niveaux.
Il est particulièrement important que la commission veille à ne pas proposer un système dans lequel l’immense majorité des filles se retrouveraient dans des études à dominante SVT et les garçons dans des études à dominantes maths/info.
La volonté de dépasser le système cloisonné et hiérarchisé des séries actuelles est louable mais le « libre choix », même plus ou moins cadré, ne garantit aucunement de dépasser une orientation stéréotypée. Pour les filles, comme pour les garçons, le libre choix n’est un choix éclairé que pour celles et ceux qui connaissent bien le système. Il est limité par tous les stéréotypes sexués qui classent les études et les métiers qui en découlent comme « féminins » ou « masculins ».
Si l’école veut réellement encourager les filles à choisir les matières scientifiques conduisant aux métiers d’avenir, il faudra les accompagner et leur faire savoir explicitement qu’on les y attend et qu’elles y sont tout à fait légitimes.
Enfin, il nous parait clair qu’il y aura des effets « de territoire » : dans les grands lycées des secteurs les plus urbanisés les choix de dominantes seront plus nombreux et possibles (sans limitation de nombres de places et donc sans limitation dans les vœux d’orientation, notamment pour les filles et leurs familles), tandis que dans les lycées des secteurs ruraux ou peu urbanisés, il sera difficile voire impossible d’accéder à certaines dominantes, et envisager un autre choix dans un établissement plus éloigné sera d’autant plus difficile pour les filles qui restent plus souvent dans leur propre territoire, celui de leur famille, les études sociologiques réalisées à se sujet le montrent. Cela sera encore plus vrai pour les filles issues de familles des catégories socioprofessionnelles non favorisées.