
Le 7 mai dernier, la ministre de l’Education nationale, Elisabeth Norne, présentait un plan d’actions « pour mobiliser la communauté éducative et les parents en vue d’inciter les filles à se former aux sciences de l’ingénieur et du numérique ».
Même si la question des filles et des mathématiques ne peut se réduire à « inciter les filles à se former aux sciences de l’ingénieur et du numérique », nous pensons que ce plan est un événement important. Il ne s’agit néanmoins que d’un premier pas, un préalable indispensable.
La formation des personnels de l’Education nationale est un élément-clé pour le changement. Pour qu’elle soit suffisamment approfondie et efficace, elle doit avoir une durée significative et s’appuyer sur des personnes dont les compétences sont reconnues et sur des travaux de recherches.
La lutte contre les stéréotypes de sexe doit s’accompagner d’une lutte contre le sexisme, trop souvent présent entre les élèves et au sein de la communauté éducative et des parents. Il faut cesser de souligner le manque de confiance en elles des filles. Celui-ci est construit socialement et constitue une forme de discrimination qu’on ne peut faire reposer sur les seules filles. Mettre en avant et soutenir le développement du sentiment d’efficacité personnelle serait un changement de paradigme important.
L’accompagnement des filles vers des études scientifiques ne doit pas reposer uniquement sur les classes préparatoires. Les voies d’accès et leur capacité d’accueil auraient avantage à être multipliées, diversifiées et également dotées de moyens financiers et humains. Les méthodes d’évaluation et la pédagogie doivent être questionnées. La présence de quelques filles isolées dans des classes largement constituées de garçons doit être évitée. A cet effet, un système de quotas peut être efficace.
Une présence accrue de femmes dans les équipes éducatives (professeures, colleuses, rôles modèles …) est nécessaire. Une réflexion doit rapidement être menée à ce sujet afin de renforcer cette féminisation, avec tous les moyens que cela suppose.
Faire entrer davantage de filles dans des études d’ingénieur nécessite aussi la création de places supplémentaires dans les formations concernées, y compris les plus prestigieuses.
Enfin, il nous semble important de ne pas singulariser les mathématiques. Même si l’image des mathématiques, sans doute un peu différente au sein du public, mérite d’être travaillée spécifiquement, c’est l’ensemble de la communauté éducative qui a besoin d’être impliquée dans la lutte contre le sexisme dans l’éducation.
Rappelons aussi que la réforme du baccalauréat de 2019 a mis en évidence les valeurs différentes que le monde politique attribue au savoir en lettres et sciences humaines (constitutif du tronc commun de connaissances au lycée) et en sciences et technologies. Une part importante de filles et aussi d’élèves issus de milieux défavorisés s’est détournée des mathématiques et des sciences depuis cette réforme. La pertinence de celle-ci ainsi que les valeurs qu’elle véhicule méritent également d’être questionnées.
Fatima Bakhti, présidente de Femmes Ingénieures,
Christophe Biernacki, président de la Société Statistique de France,
Laurence Broze, présidente de femmes et mathématiques,
Françoise Conan, présidente de Femmes et Sciences,
Isabelle Gallagher, présidente de la Société Mathématique de France,
Annexe :
Plan d’actions « filles et maths » présenté par Elisabeth Borne le 7 mai 2025 pour mobiliser la communauté éducative et les parents afin d’inciter les jeunes filles à se former aux sciences de l’ingénieur et du numérique
Pilier 1 : former et sensibiliser les personnels de l’éducation nationale
Mesure 1 : dès la rentrée 2025, tous les professeurs de l’éducation nationale bénéficieront d’une sensibilisation aux biais de genre
Cette sensibilisation de 2h devra se dérouler avant le 15 septembre. Elle sera animée par le directeur d’école, le chef d’établissement ou le référent égalité filles-garçons, qui auront bénéficié eux-mêmes d’une formation dispensée par le ministère.
Cette sensibilisation s’appuiera sur les indicateurs statistiques propres à chaque établissement. Elle permettra d’analyser les écarts filles/garçons dans le premier degré et les choix de spécialité et d’orientation après le bac.
À cette occasion, une capsule vidéo réalisée par les co-pilotes du rapport sera diffusée pour partager les principaux enseignements du rapport et promouvoir les méthodes pédagogiques les plus favorables à la réussite des filles en mathématiques.
Mesure 2 : dès la rentrée 2025, un plan de formation pluriannuel permettra de former tous les professeurs des écoles et les professeurs de mathématiques du second degré à la prévention des biais de genre et des stéréotypes dans l’apprentissage des mathématiques
Cette formation d’au moins une journée concernera les 370 000 professeurs des écoles, les 24 000 professeurs de mathématiques de collège et les 12 000 professeurs de mathématiques de lycée général et technologique. Elle s’inspirera d’une expérimentation menée dans l’Académie d’Amiens qui aura permis en trois ans d’inciter 100 filles de plus à choisir l’enseignement de spécialité de mathématiques.
Cette formation commencera dès la rentrée 2025. Tous les professeurs des écoles seront formés au cours des quatre prochaines années. Les professeurs de mathématiques du second degré seront formés en trois ans.
Cette formation visera à analyser les gestes professionnels, faire prendre conscience des risques de reproduction involontaire qui apparaissent par exemple dans la gestion des prises de parole en classe ou dans les appréciations portées sur les bulletins scolaires.
Mesure 3 : dès la rentrée 2025, une charte de lutte contre les stéréotypes sera affichée en salle des maîtres et en salle des professeurs
Cette charte rappellera les points de vigilance pour mieux prévenir la reproduction des stéréotypes.
Pilier 2 : renforcer la place des filles dans les enseignements qui ouvrent vers les filières d’ingénieur et du numérique
Les filles représentent 55 % des élèves de seconde générale et technologique. En classe de première, 48 % de filles choisissent l’enseignement de spécialité de mathématiques. En terminale, seules 42 % d’entre elles conservent cet enseignement et à peine 33 % font le choix de l’enseignement optionnel de mathématiques expertes (en savoir plus).
Mesure 4 : la mise en place d’objectifs cibles dès le lycée
À l’échelle du pays, le plan « Filles et Maths » a pour objectif que 30 000 filles de plus en 2030 choisissent l’enseignement de spécialité de mathématiques en classe de première et le conservent en terminale, soit 5 000 filles de plus par an à compter de la rentrée 2025.
Cette cible sera intégrée dans les objectifs des chefs d’établissement.
Mesure 5 : la création de classes à horaires aménagés en 4e et en 3e en mathématiques et en sciences avec des partenaires de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Une expérimentation sera lancée dès la rentrée 2025 dans cinq académies : Amiens, Bordeaux, Martinique, Nancy-Metz et Normandie, avec la création d’une dizaine de classes.
L’objectif est de généraliser ces classes à la rentrée 2026 avec une classe par département.
Les effectifs de ces classes devront être constitués d’au moins 50 % de filles. La pédagogie de projet permettra de développer l’appétence des élèves et notamment des filles pour les sciences.
Mesure 6 : la mise en place de cible de filles à l’entrée en CPGE scientifique avec un minimum de 30 % en 2030.
En 2030, chaque classe préparatoire scientifique devra compter au moins 30 % de filles dans son effectif, et pas moins de 20 % de filles dès la rentrée 2026. La ministre d’État réunira très prochainement les représentants des proviseurs des lycées concernés pour trouver le meilleur chemin.
Une concertation va être engagée dans les prochains jours par la ministre d’État, en lien avec Philippe Baptiste, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, pour construire une vision plus large sur les formations technologiques, des sciences de l’ingénieur et du numérique avec tous les acteurs concernés comme France Universités, la Conférence des grandes écoles, la Conférence des écoles d’ingénieurs. Cette concertation doit viser des objectifs de représentation équilibrée mais aussi de développement de ces formations pour répondre aux besoins de l’économie.
Mesure 7 : une représentation équilibrée entre les femmes et les hommes professeurs en classe préparatoire scientifique
L’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR) et la direction générale des ressources humaines du ministère s’attacheront à mieux repérer les femmes susceptibles d’enseigner en classe préparatoire aux grandes écoles (CPGE).
Ce plan fixe un objectif d’au moins 30 % de femmes parmi les nouvelles nominations en classes préparatoires.
Une vigilance particulière sera demandée aux proviseurs pour répartir le plus équitablement possible les professeurs en enseignement de spécialité de mathématiques et en enseignement optionnel de mathématiques expertes.
Pilier 3 : ouvrir les horizons des jeunes filles et susciter des vocations
Mesure 8 : la mise en place de rencontres systématiques avec des rôles modèles de la 3e à la terminale
Le programme d’éducation à l’orientation, présenté par Élisabeth Borne à la fin du mois de mai, comportera une mesure disposant que chaque année, de la 3e à la terminale, un réseau d’associations, d’étudiants ou de branches professionnelles sera mobilisé par les chefs d’établissement, en lien avec les régions, pour que des femmes, rôles modèles, puissent présenter leur parcours à des jeunes filles.
Ce dispositif sera expérimenté dans des académies volontaires à la rentrée 2025 pour une généralisation en 2026.