Madame la Ministre,
Le 8 janvier 2009, Jean-François Dhainaut, Président de l’AERES, donnait une conférence à l’université Paris-Descartes (site Cochin) intitulée » l’Evaluation de l’enseignement supérieur et de la recherche : quelles ambitions ? » Après avoir présenté l’organisation, les objectifs et les premiers bilans de l’AERES, il a répondu à plusieurs questions de l’auditoire. L’une de ces questions concernait le très faible nombre de femmes dans les commissions d?experts (1) . En guise d’explication, Jean-François Dhainaut a indiqué que le pouvoir était une affaire masculine et que, par ailleurs, les femmes, en plus de leur métier, doivent s’occuper de la maison, des enfants. Elles n’ont donc pas de temps à consacrer à l’AERES.
De tels propos, en 2009, sont tout simplement inadmissibles et les associations et institutions signataires de cette lettre les condamnent vigoureusement. Ils le sont d’autant plus qu’ils viennent du Président d’une institution chargée d’évaluer les organismes de recherche et les établissements d?enseignement supérieur et de recherche, les laboratoires et équipes qui en dépendent ainsi que les formations et les diplômes dispensés par ces établissements, toutes structures dans lesquelles les femmes ont, de manière notoire, des difficultés à faire reconnaître leur valeur.
Ce déficit de reconnaissance avait d’ailleurs notamment conduit votre prédécesseur, Monsieur François Goulard, à mettre en place le Comité pour l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans l’enseignement supérieur et la recherche. Dans le premier rapport de ce Comité, remis le 26 janvier 2006, on pouvait lire : […] les avancées notables de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans l’enseignement supérieur et la recherche, enregistrées depuis une dizaine d’années, ne peuvent occulter le fait que la place des femmes soit encore loin d’atteindre ce qu’il est permis d’attendre d’un grand pays.
Votre propre discours du 21 novembre 2008, lors de la Cérémonie d?installation de la promotion de l’Institut Universitaire de France, nous avait laissé supposer que ce problème vous préoccupait également, puisque vous avez déclaré : Le jury [de l’IUF] sera composé pour plus de la moitié de personnalités scientifiques étrangères dans le respect bien sûr de la parité. […] La parité est un impératif si nous voulons reconnaître le talent des femmes, encourager des vocations scientifiques. La composition de nos comités ne doit plus donner lieu à la critique récurrente de ne pas faire suffisamment place à la diversité de nos chercheurs .
Madame la Ministre, afin de ne plus donner lieu à cette critique récurrente sur la composition de nos comités, nous vous prions de prendre au plus vite des mesures concrètes, et notamment :
1) de condamner officiellement les propos sexistes de Jean-François Dhainaut ;
2) de supprimer l’inadmissible statut d’exception attribué à la recherche dans le Décret n0 2002-766 du 3 mai 2002, relatif aux modalités de désignation, par l’administration, dans la fonction publique de l’état, des membres des jurys et des comités de sélection et de ses représentants au sein des organismes consultatifs. En effet, ce décret stipule dans son article 1 que:
Pour la désignation des membres des jurys et des comités de sélection constitués pour le recrutement de fonctionnaires de l’Etat régis par des statuts particuliers pris par décret en Conseil d’état, à l’exception des statuts particuliers des chercheurs régis par le décret du 30 décembre 1983 susvisé, l’administration chargée de l?organisation du concours doit respecter une proportion minimale d’un tiers de personnes de chaque sexe justifiant des compétences nécessaires.
3) d’élargir ces modalités de désignation à l’ensemble des jurys et comités chargés d’évaluer les instances et les personnels de la recherche et de l’enseignement supérieur.
En vous remerciant de l?attention que vous porterez à notre demande, nous vous prions d?agréer, Madame la ministre, l’expression de nos sincères salutations.
(1) Exemples : Comité d’experts pour le Centre de Recherche des Cordeliers-UMRS 872, Universités Paris 5 et Paris 6 : 4 femmes sur 16 membres. Comité d?experts pour le Laboratoire d’Ethnologie et de Sociologie Comparative (LESC)-UMR 7186, Université Paris 10-Nanterre : 1 femme sur 9 membres. Comité d’experts pour le Centre de Mathématiques Laurent Schwartz (CMLS)-UMR 7640, Ecole Polytechnique : 1 femme sur 10 membres. Comité d’experts pour l’INSERM : 1 femme sur 14 membres.
Premières Institutions signataires :
Archives du féminisme
CEDREF (Centre d’Enseignement, de Documentation et de Recherches pour les Etudes Féministes, Paris)
Femmes et mathématiques
Efigies (Association de jeunes chercheuses et chercheurs en études Féministes, Genre et Sexualités)
Centre Louise Labé (Lyon)
SIEFAR (Société Internationale pour l’Etude des Femmes de l’Ancien Régime)
RING (Réseau Interdisciplinaire et Interuniversitaire sur le Genre)
Institut Emilie du Châtelet pour le développement et la diffusion des recherches sur les femmes, le sexe et le genre
Pôle Sagesse du CERTOP UMR 5044 (ex équipe Simone)
Autres institutions :
ANEF (Assocation nationale des études féministes)
AFFDU (Association des femmes française diplômées des universités)
MAGE (Groupement de recherche européen Marché du travail et genre en Europe)
Premières signataires :
Joëlle Wiels, directrice de recherche CNRS, Villejuif
Eliane Viennot, professeure des universités, Saint-Etienne
Colette Guillopé, professeure des universités, Créteil
Christine Planté, professeure des universités, Lyon