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Isabelle Gallagher, nouvelle présidente de la SMF

Bravo à Isabelle Gallagher, nouvelle présidente de la Société Mathématique de France.

Elle devient ainsi la sixième femme à exercer cette fonction après Marie-Louise Dubreil-Jacotin en 1952, Yvette Amice en 1975, Mireille Martin-Deschamps en 1998, Marie-Françoise Roy en 2004 et Aline Bonami en 2012.

Isabelle Gallagher est née à Cagnes-sur-Mer le 27 octobre 1973. Elle entre à l’École polytechnique en 1992 après avoir étudié en classe préparatoire au lycée Masséna à Nice. Elle fait son service national, ainsi qu’un stage au Département de météorologie de l’université d’État de Floride (à Tallahassee), dont il lui reste manifestement quelque chose. Elle prépare ensuite un DEA d’analyse numérique, de calcul scientifique et d’analyse non linéaire au Laboratoire d’analyse numérique de l’université Pierre et Marie Curie (aujourd’hui, laboratoire Jacques-Louis Lions, Sorbonne Université) et continue en thèse sous la direction de Jean-Yves Chemin. Elle soutient sa thèse en 1998, obtient immédiatement un poste de chargée de recherches au CNRS, s’installe à l’université Paris-Sud (aujourd’hui Université Paris-Saclay), puis à l’École polytechnique et continue à travailler sur le sixième problème de Hilbert. Lors du deuxième congrès international des mathématiciens à Paris, en 1900, David Hilbert (1) a proposé une liste de 23 problèmes parmi lesquels le sixième, demandant que l’on axiomatise « les sciences physiques dans lesquelles les mathématiques jouent déjà aujourd’hui un rôle important ; au premier rang figurent la théorie des probabilités et la mécanique ». Et c’est sur des problèmes de mécanique des fluides qu’Isabelle a travaillé, en particulier sur les équations de Navier-Stokes, équations qui modélisent des écoulements d’eau. Après avoir été invitée en 2012 à donner un exposé au Congrès européen de mathématiques, Isabelle a été conviée en 2014 à donner un exposé au 27e Congrès international de mathématiques (ICM), en même temps que Laure Saint-Raymond avec laquelle elle avait déjà beaucoup travaillé (événement rare, leurs deux exposés ont été coordonnés : Laure à 15 heures et Isabelle à 16 heures, dans la même salle, pour présenter des travaux communs avec Thierry Bodineau). Elles avaient déjà obtenu ensemble, en 2006, le Prix de la jeune scientifique parisienne décerné par la Ville de Paris, pour l’ensemble de leurs travaux et, plus particulièrement, pour les résultats obtenus sur l’effet des forces dites de Coriolis sur les turbulences océaniques. La question des écoulements d’eau turbulents au voisinage de l’équateur n’avait été que très peu étudiée ; or ces turbulences créent beaucoup de problèmes, notamment pour la navigation sur l’océan.


Entre-temps Isabelle Gallagher a soutenu en 2002 une habilitation à diriger des recherches dont le titre est « Étude mathématique d’équations des ondes et de la mécanique des fluides » et obtenu en 2004 un poste de professeure à l’Université Paris Diderot (aujourd’hui Université Paris Cité). Elle est depuis 2017 professeure mise à disposition de l’École normale supérieure à Paris. Elle collabore avec de nombreux collègues (une quarantaine au total) et dit aimer travailler à deux ou trois et à faire émerger des idées qui aboutiront parfois (et parfois non !) à des résultats intéressants. Elle a aussi formé une dizaine de doctorant·es, souvent en cotutelle. Elle a obtenu un grand nombre de récompenses. L’Académie des sciences lui décerne le prix Paul Doisteau-Émile Blutet en 2008. Elle est nommée membre junior de l’Institut universitaire de France en 2009. Elle se voit attribuer la Microsoft Chair au Newton Institute de Cambridge en 2013 et, en 2016, le prix du magazine La Recherche avec Laure Saint-Raymond et Thierry Bodineau pour un article jugé exceptionnel par le magazine. En 2016 elle reçoit la médaille d’argent du CNRS et en 2018 le Prix Sophie Germain de l’Académie des sciences. Elle est honorée de la médaille de l’Institut Erwin Schrödinger de l’université de Vienne (Autriche) en 2023 et est la conférencière 2023 de la série de conférences Distinguished PDE (Partial Differential Equation) du Centre pour les équations aux dérivées partielles toujours à Vienne. Depuis plusieurs années Sergio Simonella travaille aussi avec elle, et avec Laure Saint-Raymond et Thierry Bodineau.

Outre le sixième problème, elle a abordé quantité de sujets, en particulier le groupe de Heisenberg, et divers problèmes concernant les équations de Navier-Stokes… Mais le prix Sophie Germain qui lui a été attribué en 2018 l’a été entre autres pour ses travaux sur le sixième problème : « rechercher des méthodes fondées sur l’idée de passage à la limite qui, de la conception atomique, nous conduisent aux lois du mouvement des milieux continus », demandait Hilbert ; avec Laure Saint-Raymond et Thierry Bodineau, elle a obtenu le mouvement brownien (2) comme limite d’un modèle déterministe de particules en interaction, c’est aussi ce qui leur a valu le prix du magazine La Recherche. On passe ainsi des mouvements microscopiques individuels des atomes, obéissant aux lois classiques de la mécanique newtonnienne, aux mouvements macroscopiques d’un liquide observables à l’œil nu. Pour la première fois, le mouvement brownien est décrit comme une certaine limite du mouvement déterministe de particules en interaction.

Elle a ainsi beaucoup travaillé sur les équations de Navier-Stokes, toujours en collaboration. La résolution des équations de Navier-Stokes dans l’espace de dimension 3 – notre espace ambiant – joue un rôle central en mécanique des fluides et en mathématiques. Les premières solutions étudiées ont été des « solutions faibles », approche qui a révolutionné la mécanique des fluides, mais la question de leur unicité et de leur régularité n’est pas comprise à ce jour et fait l’objet d’un prix de l’Institut mathématique Clay à 1 million de dollars depuis près de 25 ans. Les « solutions fortes » sont une alternative aux « solutions faibles » : elles sont uniques et régulières, mais on ne les obtient que pendant un intervalle de temps court, ou alors pendant un intervalle de temps long et pour de petites données initiales. Est-il possible d’établir un pont entre ces deux approches ? Le jargon du domaine des équations aux dérivées partielles parle alors de breaking the barrier of scaling. Dans un article publié en 2011 aux Annals of Mathematics avec Jean-Yves Chemin et Marius Paicu, elle a obtenu, à la surprise générale, des solutions régulières et globales avec de très grandes données initiales, certes dans des cas particuliers d’équations et de données, mais ces résultats représentent une importante avancée (« une excellente lecture et beaucoup de créativité », déclare le rapporteur japonais des AMS Reviews).

Elle a aussi travaillé en analyse harmonique, par exemple sur certains groupes de Lie et aussi sur le groupe de Heisenberg. Werner Heisenberg a introduit ce groupe de matrices triangulaires supérieures de dimension trois avec des 1 sur la diagonale parce qu’il lui permettait d’expliquer, en mécanique quantique, l’équivalence entre la représentation de Schrödinger et la sienne. Cette intrusion des physiciens quantiques dans la théorie des groupes a donné lieu à de fructueux développements.

Elle a bien sûr participé à des tâches administratives diverses (éditoriales, universitaires, organisation de rencontres et colloques, vulgarisation, encouragement des jeunes, des femmes…). Voici un petit extrait de ses activités. Elle a été éditrice d’une dizaine de journaux allant de la revue Panoramas et synthèses de la Société mathématique de France aux Annales de l’École normale supérieure. Elle a été directrice de l’Unité de formation et de recherche de mathématiques de l’Université Paris Diderot de 2013 à 2017, puis directrice du Département de mathématiques et applications (DMA) de l’École normale supérieure en 2018-2019, et directrice adjointe en 2023-24. Elle a été membre élue au Comité national des universités de 2011 à 2015. Elle a présidé le Conseil scientifique d’EMS/EWM (European Mathematical Society / European Women in Mathematics), elle y est actuellement déléguée. Elle fait partie du Structure Committee de l’ICM. Elle a participé au programme blanc Math Océan de l’Agence nationale de la recherche de 2008 à 2012 et, bien sûr, elle a fait partie du comité d’organisation du colloque en l’honneur de Jean-Yves Chemin en 2019. C’est lorsqu’elle dirigeait la Fondation des sciences mathématiques de Paris (FSMP), de 2019 à 2023, que le projet MathPhDInFrance, déposé en 2022 et soutenu notamment par l’association femmes & mathématiques, a été accepté en 2023 par le programme COFUND de la Commission européenne : il s’agit de cofinancement de bourses de doctorat et de post-doctorat dans les laboratoires d’Île-de-France associés à la FSMP.

Elle a été membre du conseil d’administration d’Animath et membre du conseil scientifique de Maths.en.Jeans de 2016 à 2021. Elle a participé à l’événement Maths sous tous les angles de l’IREM d’Amiens en 2019. Elle s’est investie dans des actions destinées à de jeunes élèves des lycées. Elle a participé à divers projets en direction des jeunes filles et des jeunes chercheuses : une table ronde « les femmes dans la science » à Sciences Po en 2022 ; une master class pour lycéennes à l’IHP ; une table ronde intitulée « les sciences ont besoin de femmes » au Luxembourg. En 2023 elle participe au groupe de travail Parité de l’Université Paris Cité et au comité Égalité du DMA à l’École normale supérieure. Elle participe à un Rendez-vous des jeunes mathématiciennes et informaticiennes à Paris en 2023 et à la journée Filles, maths et informatique : une équation lumineuse à Sorbonne Université en 2024.

Elle vient d’être élue présidente de la Société mathématique de France, la sixième présidente depuis la fondation de la société en 1872.

(1) David Hilbert (1862-1943), mathématicien allemand, professeur à Göttingen, a exercé une profonde influence sur les mathématiques. La liste des 23 problèmes qu’il a proposée en 1900 et que vous pouvez consulter sur Internet comportait des questions extrêmement théoriques comme « l’arithmétique est-elle contradictoire ? » et d’autres tout à fait pratiques comme le sixième problème. La plupart des mathématiciennes et mathématiciens éprouvent estime et affection pour Hilbert en raison de la profondeur de ses idées scientifiques mais aussi de son attitude au cours de la période nazie en Allemagne et en Europe. Il s’est beaucoup démené pour aider les mathématiciens juifs à quitter l’Allemagne à temps. On raconte que Goebbels, ministre de la culture de Hitler, lui posa un jour la question suivante : « comment vont les mathématiques à Göttingen maintenant que l’université s’est débarrassée des Juifs ? ». À quoi Hilbert aurait répondu sur un ton sinistre : « il n’y a plus de mathématiques à Göttingen ». Nous ne garantissons pas tout à fait la véracité de cette anecdote. Cependant il est tout à fait établi que Hilbert, essayant d’obtenir une vie mathématique normale pour Emmy Noether et se heurtant au conseil de l’université qui ne voulait en aucun cas d’une femme, déclara : « où est le problème ? nous ne sommes pas un établissement de bain ».

(2) Un botaniste, Robert Brown (1773-1858), examinant au microscope du pollen dispersé dans de l’eau, observa en 1827 des mouvements erratiques des particules de pollen ; ces particules baignent dans un ensemble de molécules qui s’agitent en tous sens et la particule de pollen change de direction à chaque fois qu’elle est heurtée par une molécule, le tout étant dû à l’agitation thermique. Dans les années 1920 Norbert Wiener (1894-1964) a défini un objet mathématique correspondant à la description de Brown, qui donc a pris le nom de mouvement brownien et suscité un grand intérêt ; mais jusqu’ici il n’avait pas été prouvé que le « mouvement brownien mathématique » correspondait bien aux observations de Robert Brown. L’article récompensé par le magazine La Recherche montre qu’une particule lâchée parmi un grand ensemble de particules qui se trouvent à l’équilibre aura, lorsque le nombre de ces particules tend vers l’infini, un mouvement limite qui est un mouvement brownien.