Nous avons l’immense tristesse d’apprendre le décès de Michèle Audin le 14 novembre, emportée par la maladie à l’âge de 71 ans. Ancienne sévrienne, brillante mathématicienne, elle avait été présidente de notre association de 1990 à 1991. Nous organiserons une manifestation en hommage à Michèle Audin le 14 mars 2026 à l’IHP.
Une cérémonie est organisée vendredi 21 novembre 2025 à 14h30 au centre funéraire de Strasbourg (15 rue de l’Ill, 67000 Strasbourg).
Ni fleurs ni couronnes
Michèle Audin et les femmes en mathématiques
Michèle Audin était fortement impliquée dans la cause des femmes en mathématiques. Ses écrits, ses conférences et son activisme en témoignent.
Michèle et ses consoeurs ont lancé femmes et mathématiques en 1987 et ont lutté pour que cette association devienne légitime aux yeux d’une communauté qui n’était pas encore habituée à cette idée, même si le mouvement féministe des années 1970 avait déjà annoncé des changements sociaux. A l’époque les inégalités abondent. En particulier, les concours d’entrée aux Ecoles normales supérieures sont rendus mixtes en 1985, cette mixité a entrainé une chute drastique du nombre des jeunes femmes dans les Ecoles normales supérieures.
L’invitation de Marie-Françoise Roy à une table ronde organisée par Lenore Blum, alors présidente de l’association américaine AWM (Association for Women in Mathematics, fondée en 1971), lors de l’ICM (Congrès international de mathématiques) de Berkeley en 1986 — où très peu d’oratrices avaient été invitées — a été déterminante. Concernant la disparition de l’Ecole normale supérieure des jeunes filles, l’AWM a préconisé une grande attention pour assurer la continuité de la présence des femmes en mathématiques. Cela a aussi servi de catalyseur pour la création de l’association EWM (European Women in Mathematics ) en décembre 1986 à Paris, juste avant la naissance de son homologue française.
Des témoignages de l’époque montrent que beaucoup de femmes en mathématiques, avec une certaine conscience sociale voire politique, se sont retrouvées dans l’association femmes et mathématiques. Michèle Audin a été la troisième présidente de l’association de 1990 à 1991, après Marie-Françoise Roy (1987-1990) et Françoise Delon (1989-1990). Catherine Goldstein (1991-1992) lui a succédé. Au départ, l’idée était de changer aussi les structures et donc de faire un roulement régulier.
Avec la création de cette association, des femmes en mathématiques ont eu la joie de ne plus être isolées dans leur combat. Selon une de contemporaines de Michèle, « …je me souviens que Michèle nous avait raconté qu’elle se promenait dans un congrès de maths avec un T-shirt « je suis une femme, pourquoi pas vous ? ».
Michèle Audin a été co-organisatrice de la 5ème assemblée générale de EWM au CIRM, à Luminy en 1991; un colloque de mathématiciennes : c’était la première fois au CIRM !
Citons un témoignage : « Il y avait au sein de femmes et mathématiques un souhait de réfléchir sur la manière dont les maths étaient présentées et la façon dont les exposés étaient faits, à qui ils s’adressaient. Nous avions donc décidé qu’il y aurait des « idiotes » pour aider à la préparation d’exposés accessibles à toutes les participantes. Michèle a fait un immense effort d’exposition pour son exposé . »
Outre son travail collectif, Michèle Audin a contribué énormément par ses livres, ses nombreux blogues et exposés, au soutien des femmes en mathématiques.
Son livre « Souvenirs sur Sofia Kovalevskaya » de 2008 est un travail qui a fait connaître une mathématicienne au grand public. La protagoniste (1850-1891) y apparaît comme une personne authentique, « une jeune fille délurée » plutôt que » la légende dorée de Marie Curie, cette Sainte Vierge de la science » (Une Image des femmes scientifiques, Michèle Audin, APMEP-PLOT No 29).
Son entretien avec Michèle Vergne est un exemple de son empathie envers les mathématiciennes en général. En 1974, Michèle Vergne, s’apprêtait à donner un exposé au séminaire Mathématiques, mathématiciens et société}, sous le titre Devenir mathématicienne. Elle a mis le texte de l’exposé du séminaire sur sa page personnelle. « La façon de considérer cette situation comme un problème global de la société semblait plus que jamais d’actualité » considère Michèle Audin en 2011 et elle l’a publié « à distance dans l’espace-temps ».
Récemment, une plus jeune collègue cite son expérience en tant que conseillère scientifique d’une série de vulgarisation, « je n’ai pas trop réfléchi au fait que toutes les personnes que j’ai mentionnées étaient des hommes. » Elle a été rappelée à l’ordre par Michèle Audin et ensuite, » j’ai lu un grand nombre d’ouvrages historiques, sociologiques et féministes, j’en ai aussi écrit. Mais ce qui est clair, c’est que tout cela, je l’aurais fait beaucoup plus tard et moins bien si je n’avais pas été grondée par Michèle Audin. «
Les luttes de Michèle Audin pour les femmes en mathématiques s’inscrivaient dans le combat pour la justice sociale, elle signait ses lettres par « Salut & égalité » : des valeurs qui lui étaient chères.
Texte de Gautami Bhowmik, femmes et mathématiques.
Rappelons également l’interview de Michèle Audin par Damien Gayet le 11 novembre 2021, paru dans la Gazette de la SMF, qui se conclut par :
Si j’allais faire un colloquium de mathématiques hors de Strasbourg, il y avait les gens qui m’invitaient et qui me connaissaient, mais il y avait aussi des jeunes, des doctorants, des postdocs, qui étaient des mecs, et à la fin de mon exposé, il y en avait toujours un qui se levait et qui m’expliquait des choses que je n’avais pas comprises sur le sujet dont j’étais spécialiste – et qui disait des conneries ! – Et c’était toujours comme ça, ça m’est arrivé vachement souvent. Bon moi je m’en fous, je savais répondre à ça, mais en même temps, c’est vrai que c’était un peu pénible.
