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Lectures Sophie Kowalevski

En mai 2021 à l’Université d’Angers

Susanna Zimmermann et Nicolas Raymond organisent les Lectures Sophie Kowalevski à Angers, une master class annuelle de niveau M1, qui débutera les 3-5 mai 2021, avec deux cours, l’un en Analyse/Probabilités et l’autre en Géométrie Algébrique, données par deux chercheuses.
Les Lectures 2021 seront données par Clotilde Fermanian-Kammerer (Paris Est) et Liana Heuberger (Angers).

Les Lectures Sophie Kowalevski sont ouvertes à toutes et tous, mais le soutien financier est accordé prioritairement aux participantes. Elles sont aussi une occasion pour les participantes d’échanger librement avec les lectrices sur la vie en recherche, les difficultés, les attentes, les plaisirs et tout autre qu’elles considèrent important pour pouvoir faire des choix sur leurs avenirs. A l’issue de l’évènement, les lectrices et des chercheuses invitées (“marraines”) proposent un mentorat aux participantes qui le souhaitent. 


… the more I reflect on her life and consider the magnitude of her achievements, set against the weight of the obstacles she had to overcome, the more I admire her. For me she has taken on a heroic stature achieved by very few other people in history. To venture, as she did, into academia, a world almost no woman had yet explored, and to be consequently the object of curious scrutiny, while a doubting society looked on, half-expecting her to fail, took tremendous courage and determination. To achieve, as she did, at least two major results of lasting value to scholarship, is evidence of a considerable talent, developed through iron discipline.

R. L. Cooke. The life of S. V. Kovalevskaya. In The Kowalevski property (Leeds, 2000), volume 32 of CRM Proc. Lecture Notes, pages 1–19. Amer. Math. Soc., Providence, RI, 2002.

Retour aux sources

Sophie Kowalevski. Ce nom, chère lectrice (1), qui ne le connaît pas en mathématiques? La renommée de Sophie Kowalevski a traversé, avec quelques turbulences, le vingtième siècle pour arriver jusqu’à nos yeux et à nos oreilles. Il serait bien audacieux de résumer sa vie en quelques lignes. Dès les premiers mots, nous sentirions une paralysie nous gagner. Quels mots choisir en effet qui n’enferment pas une vie si intense et si vaste, mais qui invitent à la découvrir ? Quels mots choisir qui nous fassent coïncider avec la personne qu’elle était ? Michèle Audin nous a donné de tels mots dans son remarquable ouvrage [1] (2).

Trouver ces mots, c’est oeuvrer à transmettre une mémoire. Nous devinons bien, en nous tournant vers nos expériences personnelles, que préserver la mémoire de quelqu’un ne peut pas se réduire à rassembler quelques reliques de la personne disparue et à quelques commémorations périodiques. Nous sentons que cela ne suffit pas. Pour être transmise, la mémoire doit vivre, car toute vie est aussi, d’une certaine façon, mémoire. Les mots qu’on cherche, qu’on désire obscurément et qui parfois nous échappent sont les véhicules de cette vie qu’on veut raconter.

Tu nous diras, chère lectrice, que ces lignes prennent une tournure un peu inattendue. Sophie était une grande mathématicienne, une des premières docteures dans le sens où on l’entend aujourd’hui, une des premières professeures d’université en Europe, et éditrice d’une modeste revue de l’époque Acta Mathematica qui venait d’être créée par Gösta Mittag-Leffler. Elle était aussi voyageuse, écrivaine et polyglotte.

Poèmes, pièces de théâtre, romans, articles de mathématiques, quelles formes d’écriture n’a-t-elle pas explorées ! Cette vie si riche nous rappelle que les mathématiques constituent une branche singulière de la poésie (3). N’est pas poète qui veut.
Comme le dit Michèle Audin [1, p. 259], seuls ceux ou celles qui ont des idées, de l’imagination et un certain sens esthétique créent. Les mathématiques sont un langage et, à ce titre, rendent sensibles certaines réalités… en les créant ; quel éden pour les âmes créatrices ! Sophie était une poétesse des systèmes intégrables. Comme tout être humain, elle est aussi plus que son oeuvre. Sa démarche, son enthousiasme, sa façon de surmonter les épreuves peuvent encore édifier les générations qui viennent et qui nous remplaceront. Comment transmettre sa mémoire ? Divers prix, nommés en son honneur, existent aujourd’hui. Un cratère lunaire et un astéroïde portent même son nom (4). Sur Terre, il semblerait que ce ne soit le cas d’aucun institut mathématique. Il apparaîtrait, disent les mauvais esprits, qu’elle ait le triple défaut d’avoir été une femme, d’être morte jeune et d’avoir passé sa vie à voyager. On pourrait pourtant accueillir son âme partout, y compris en France où elle a plusieurs fois séjourné (5). Elle y reçut même le prix Bordin de l’Académie des sciences pour ses travaux sur les solides en rotation.

Certains séjours n’étaient pas que mathématiques d’ailleurs (6). Un tel esprit humaniste et engagé qui a, comme le dit la devise du CNRS, dépassé des frontières (qu’elles soient sociales, nationales ou scientifiques) devrait attirer notre attention. De façon plus générale, les laboratoires de mathématiques pourraient par exemple s’emparer de l’impensé dans la façon dont ils se nomment et honorer la mémoire de grandes mathématiciennes. Sophie Kowalevski est l’une d’elles. Cette
absence dans la représentation des mathématiciennes, on peut s’en désoler, mais on peut aussi adopter un comportement stoïcien en la considérant comme une curiosité édifiante. De ce constat ont jailli des pensées autour des questions de parité, un peu à la façon dont jaillissent des sources sur les lieux de scènes mythologiques (7). Que faire qui ne dépende que de nous et qui soit à la fois une action féministe et un acte de mémoire ? Ainsi naquirent les Lectures, au hasard des discussions, sous l’égide de Sophie Kowalevski.

(1) Nous utiliserons le féminin par licence poétique !
(2) La lectrice curieuse pourra aussi consulter le travail de Ann Hibner Koblitz [3]
(3) Poésie vient du grec : faire, créer.
(4) Ce privilège lui serait-il valu pour avoir écrit un mémoire sur la forme des anneaux de Saturne ?
(5) Elle fut membre d’une toute jeune association, la SMF.
(6) Ah oui, nous avons omis de le rappeler : elle a aussi été ambulancière pendant la Commune…
(7) Cf. Les Métamorphoses, Livre V, 487, Ovide.

Des Lectures par des Lectrices

Tu brûles sans doute (ou t’impatientes), chère lectrice, de savoir ce que sont ces Lectures. Il s’agit de deux cours, d’environ huit heures chacun, dispensés par deux enseignantes-chercheuses, les « Lectrices », l’un en Algèbre-Géométrie et l’autre en Analyse-Probabilités (avec la possibilité et sans obligation de suivre les deux). Ce terme de « Lectrice », relativement peu usité en français, n’est pas réellement la traduction de « lecturer ». Dans certains pays, les lecteurs sont des enseignants de langue étrangère qui interviennent au sein d’établissements d’enseignement. Ce choix de dénomination ne résulte donc pas tant d’une sorte de paresse franglaise que du désir de rendre hommage à celle qui nous a inspirées : une mathématicienne voyageuse, écrivaine et polyglotte. Quelle belle occasion que de découvrir la langue des mathématiques en assistant à ces Lectures !

Les Lectures ont lieu sur trois jours et des sessions libres sont proposées afin que les participantes et participants puissent échanger informellement entre les cours. Elles s’adressent à des étudiantes (et étudiants) de première année de Master. Elles sont ouvertes à toutes et tous et peuvent être dispensées en français ou en anglais.
L’effectif étudiant visé est de l’ordre de 50 personnes. Au moins 30 étudiantes pourront voir l’intégralité de leurs frais de séjour et de transports prise en charge. Chaque participant peut faire une demande de soutien financier lors de son inscription, mais la priorité d’attribution va aux étudiantes.

Afin d’inscrire les Lectures dans la durée, les Lectrices et les marraines des Lectures proposent un mentorat aux participantes qui le souhaitent. Les sessions libres entre les cours visent aussi à faciliter ces rencontres. Les Lectures seront annuelles ou bisannuelles (suivant la motivation des organisatrices) et pourraient devenir itinérantes, en souvenir des voyages de Sophie Kowalevski.

Pour leur première édition, les Lectures auront lieu à Angers, les 3, 4 et 5 mai 2021. Michèle Audin nous fera le plaisir de donner un exposé inaugural. Les Lectures 2021 seront données (en français) par
— Clotilde Fermanian Kammerer (Paris-Est Créteil),
— Liana Heuberger (Angers).
Les marraines de cette édition sont Ramla Abdellatif (Université de Picardie Jules Verne), Karine Beauchard (ENS Rennes) et Enrica Floris (Université de Poitiers).

Pour plus d’informations :
https://math.univ-angers.fr/ zimmermann/LSK/LSK.html

Références

[1] M. Audin. Souvenirs sur Sofia Kovalevskaya, volume 101 of Orrizonti. Calvage et Mounet, 2008.
[2] R. L. Cooke. The life of S. V. Kovalevskaya. In The Kowalevski property (Leeds, 2000), volume 32
of CRM Proc. Lecture Notes, pages 1–19. Amer. Math. Soc., Providence, RI, 2002.
[3] A. H. Koblitz. A convergence of lives : Sofia Kovalevskaia : scientist, writer, revolutionary. Rutgers
University Press, 1993.

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