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Commission pour l’enseignement des mathématiques

L’association femmes et mathématiques (représentée par Laurence Broze et Colette Guillopé) a été consultée par la commission mise en place par Jean-Michel Blanquer et présidée par Charles Torossian et Cédric Villani.

La CFEM, l’ARDEM, l’ADIREM, l’APMEP, l’AGEEM participaient également à cette audition de plus de 3 heures, le 1er décembre 2017.

Le texte suivant a été produit par l’association à cette occasion, en réponse aux questions portées par la commission.

Contribution à la commission Villani-Torossian – Audition du 1er décembre 2017

Pourquoi si peu de filles dans les filières mathématiques (hors PACES) ?

Les causes sont multiples et de plusieurs ordres.

L’accès des femmes à l’éducation est récent, celui aux études scientifiques encore plus. Les rares femmes ayant produit de la science ont bravé les interdits et sont peu connues et reconnues, donc absentes de la mémoire collective. Cette invisibilité entraine une absence de modèles auxquels les filles pourraient s’identifier.

→ actions : diffuser des modèles scientifiques positifs pour les filles ; introduire une formation à l‘histoire des mathématiques valorisant la place et les travaux des mathématiciennes pour tou·te·s les enseignant·e·s du primaire et du secondaire.

Culturellement, les mathématiques ne correspondraient pas à la « nature féminine ». Il est considéré comme « normal » qu’une fille fasse des études de médecine, mais celle qui veut se lancer dans des études de mathématiques reçoit des signaux de surprise, de doute, voire de réprobation.

Les études de médecine figurent parmi les plus sélectives, ce qui montre bien que les filles qui y sont majoritaires n’ont pas peur de la sélection, de la difficulté, de l’échec, lorsqu’elles se sentent à leur place.

→ action : lutter contre les stéréotypes qui cantonnent les filles dans les fonctions liées au soin ou aux services et inciter à un meilleur partage du travail familial et domestique.

L’école n’échappe pas aux stéréotypes, dont ceux concernant les mathématiques, auxquels s’ajoutent les stéréotypes de sexe, en particulier sur les femmes et les mathématiques : les femmes étant considérées comme inaptes à faire des mathématiques « par nature ».

actions : lutter contre toutes les formes de sexisme et contre les stéréotypes liés aux mathématiques ; s’assurer que tous les outils et documents produits par l’éducation nationale sont exempts de sexisme ; signifier aux éditeurs de manuels scolaires qu’ils ont le devoir d’équilibrer les contenus, illustrations, exemples, énoncés d’exercices, etc. dans les ouvrages qu’ils publient.

L’école s’adresse généralement aux élèves au « masculin neutre » qui ignore les filles. On y enseigne dès le plus âge que « le masculin l’emporte sur le féminin ». Cette règle, imposée par les académiciens des 17e et 18e siècles, contribue à affirmer la supériorité des hommes sur les femmes.

action : utiliser un langage s’adressant aussi bien aux unes qu’aux autres, y compris l’écriture inclusive.

Différentes études montrent que :

–   Du primaire au supérieur, les enseignant·e·s valorisent le calme et l’application des filles et l’opposent à l’agitation mais aussi à une plus grande créativité des garçons. Elles et ils pensent que les garçons « peuvent mieux faire » alors que les filles « font tout ce qu’elles peuvent ». Ceci conduit à attribuer la réussite des filles à leur travail et celle des garçons à leurs capacités. En cas d’échec, elles concluent qu’elles sont définitivement incompétentes, et les garçons qu’il leur suffirait de travailler un peu plus.

–   La croyance des enseignant·e·s en la supériorité des garçons en mathématiques et des filles en français est décelée dès le primaire alors que les différences de performance sont inexistantes. Les attentes qui en découlent fonctionnent comme des « prophéties auto-réalisatrices ».

–   Dès la quatrième, les filles ont de moins en moins confiance en elles et les garçons, à niveau égal, se jugent plus doués que les filles. Quand ils se jugent très bons, les garçons s’orientent davantage en série S que les filles se jugeant très bonnes. Le processus « d’auto-sélection » des filles — qu’il faudrait appeler  (auto-)sélection sociale — les conduit à peu choisir les séries scientifiques et techniques.

–   Dans le cours de mathématiques, l’enseignant·e a tendance à s’adresser davantage aux garçons qu’aux filles et à ne pas avoir les mêmes attentes. Les contenus d’exercices et les situations présentées sont souvent plus proches des intérêts des garçons. Elles peuvent en déduire qu’elles sont moins importantes.

–   Pour des élèves de niveau moyen en seconde, les enseignant·e·s préconisent un passage en première S beaucoup plus facilement pour les garçons que pour les filles.

La formation initiale et continue des professeur·e·s du primaire et du secondaire doit comporter une part importante sur la thématique de l’égalité filles garçons. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui malgré les textes officiels. (cf : rapports du HCE f/h et de l’ARGEF sur les enseignements à l’égalité femmes-hommes dans les ESPE).

→  actions : introduire une formation systématique et évaluée pour les enseignantes et les enseignants à l’analyse des rapports sociaux de sexe et à la construction des identités genrées ; les former aux stéréotypes à l’œuvre à l’école et à leur spécificité en mathématiques, ainsi qu’à la menace du stéréotype ; intégrer l’égalité filles garçons aux épreuves des concours de façon systématique ; sensibiliser les parents à la nécessité de valoriser le travail et les compétences des filles.

L’orientation intervient principalement au cours de l’adolescence, période de grand bouleversement chez les jeunes en pleine construction de leur identité. Dès les premiers choix d’option, des différences apparaissent : sont-elles le résultat de la volonté personnelle des élèves, de la pression de la famille, de celle des enseignant·e·s ou de leur imprégnation par les stéréotypes? Au lycée général et technologique, depuis une dizaine d’années, la proportion de filles en série S stagne autour de 46%. A l’entrée dans le supérieur, les filles ne représentent que 29% des étudiants en CPGE et 25% en sciences fondamentales et applications à l’université.

action : former l’ensemble des personnels de l’éducation à l’égalité filles-garçons, et tout particulièrement les conseillèr·e·s d’éducation, CPE, chef·fe·s d’établissement, qui ont une lourde responsabilité sur l’orientation des élèves.

80% des professeur·e·s des écoles sont des femmes qui majoritairement n’ont pas fait d’études scientifiques, voire n’ont plus étudié les mathématiques depuis la classe de Seconde (en série L), et bien souvent rejetaient cette matière. La formation initiale doit donc comporter une étape de « déblocage » pour surmonter ce vécu difficile, puis une mise à niveau afin de parvenir à une maitrise correcte des connaissances permettant une transmission de qualité et sans angoisse.

→  actions : mieux former les professeur·e·s des écoles en mathématiques ; introduire des parcours « Professorat des écoles » dans les licences de lettres ou de sciences humaines, comportant plusieurs modules de remédiation et de formation en mathématiques.

Entre 2003 et 2013, le nombre d’étudiantes en L3 de mathématiques a baissé d’environ 30%, tandis que le nombre d’étudiants est resté stable.

La proportion de femmes lauréates du Capes de mathématiques est passée de plus de 50 % avant 2013 à 40 % à partir de 2014. La proportion de femmes lauréates de l’agrégation de mathématiques chute également de manière notable, passant de 40 % en 2003 à 21-23 % à partir de 2014. La diminution du nombre global de professeur·e·s de mathématiques repose sans doute surtout sur une diminution du nombre d’étudiantes en L3 mathématiques.

Si peu de femmes étudient et enseignent les mathématiques, elles seront encore moins nombreuses pour devenir des modèles.

actions : favoriser le pré-recrutement des enseignants et des enseignantes ; améliorer les conditions de travail dans les écoles et les collèges.

L’école joue un rôle fondamental dans la reproduction des inégalités. L’accès aux postes de pouvoir passe le plus souvent par les grandes écoles (scientifiques), auxquelles les femmes ont peu accès.

→  actions : étudier de manière approfondie les différents concours d’entrée dans les grandes écoles ; favoriser les expérimentations visant à modifier les modalités des concours.

L’enseignement supérieur porte également sa part de responsabilité. La disparition progressive des femmes professeures crée un contexte peu favorable à l’arrivée de jeunes femmes dans l’enseignement supérieur et la recherche. Le plafond de verre semble bien infranchissable. Les modèles féminins, déjà trop peu nombreux, se raréfient. Les jeunes femmes hésitent à se lancer dans une thèse peu porteuse d’avenir professionnel.

→  actions : demander à chaque laboratoire, à chaque université, de renseigner annuellement un indicateur de parité en mathématiques ; demander à la DGRH du MESRI de vérifier si les règles de parité minimale sont bien respectées dans chaque comité de sélection ; abroger (ou ne pas renouveler) le décret 2017-1606 du 24 novembre 2017 fixant des dispositions dérogatoires pour les comités de sélection.

Les filles et l’informatique. 

Avant l’arrivée du micro-ordinateur, les femmes étaient nombreuses, de la programmeuse à l’ingénieure et à la chercheuse, dans le domaine de l’informatique qui était alors une discipline nouvelle et peu reconnue. La représentation de cette discipline s’est modifiée complètement (image du « geek »), les garçons s’emparent de l’ordinateur à la maison, constituent des groupes dont les filles sont exclues.

actions : diffuser des modèles scientifiques positifs pour les filles ; sensibiliser les enseignant·e·s à l’effet négatif de l’image du geek sur la plupart des filles.

Les femmes ne représentent que 20% des effectifs des ingénieurs en informatique, selon un rapport de la Dares de novembre 2013. Le nombre d’hommes diplômés d’informatique ou STIC dans les écoles d’ingénieurs ne cesse d’augmenter, alors que celui des femmes stagne depuis 1985, elles ne constituent que 11% des diplômés, après un pic de 20 % en 1983.

Des tentatives pour développer l’informatique à l’école ont commencé dès 1985 avec le plan « Informatique pour tous ». Hélas, l’arrivée des ordinateurs dans les établissements ne s’est pas accompagnée d’une formation approfondie des enseignant·e·s, le matériel est devenu obsolète et l’informatique n’est pas parvenue à s’ancrer dans l’enseignement.

A partir de la rentrée 2012, la spécialité informatique (ISN) a été proposée aux élèves de terminale S au même titre que les trois autres spécialités (mathématiques, physique-chimie et SVT). 4 % des filles de TS choisissent cette spécialité à la rentrée 2015 ! En 2016, l’Education nationale a inscrit aux programmes de l’école et du collège une initiation à l’informatique, mais les enseignantes et enseignants ont-ils été formés à la fois à cette nouvelle discipline et à la prise en compte de la place des filles et des garçons face à ces notions ?

actions : sensibiliser les enseignant·e·s et les conseillèr·e·s d’éducation à cette question d’orientation et faire savoir aux filles que même sans connaissances préalables en informatique, elles sont tout à fait capables de suivre cet enseignement.


· Le stress du temps fini (devoirs, examens, concours). 

Le thème du stress lié au temps fini pendant une épreuve de mathématiques n’a pas été étudié en tant que tel par notre association.

actions : étudier de manière approfondie les différents concours d’entrée dans les grandes écoles ; favoriser les expérimentations visant à modifier les modalités des concours.

Les résultats de l’enquête PISA 2012 portant sur l’anxiété des élèves de 15 ans vis-à-vis des mathématiques en général, montrent que les filles sont globalement plus anxieuses que les garçons, mais aussi l’inverse dans certains pays et avec des variations importantes selon les pays (la France n’étant pas la mieux placée).

Notre réflexion porte sur un aspect plus spécifique appelé « menace du stéréotype » en psychologie sociale.

A la fin des années 1990, aux Etats-Unis, des chercheurs (Steele et al.) en psychologie sociale ont réalisé une expérience sur les performances des étudiant·e·s en mathématiques.

Ils ont sélectionné des étudiant·e·s de deuxième année qui avaient de bons résultats en mathématiques, et leur ont proposé un test trop difficile pour eux mais comportant certaines questions abordables. Les garçons ont beaucoup mieux réussi que les filles.

Selon leur hypothèse, cette différence n’aurait rien à voir avec une infériorité « naturelle » des filles par rapport aux garçons en mathématiques. Quand tout se passe bien, qu’elles ne rencontrent aucune difficulté, les filles réussissent comme leurs homologues masculins. Mais confrontées aux premières difficultés lors du test, elles les interprètent comme une confirmation du stéréotype « les filles sont moins bonnes en mathématiques que les garçons ». Elles l’intériorisent, ce qui augmente leur anxiété par rapport aux mathématiques et elles perdent leurs moyens. Les garçons, confrontés aux mêmes difficultés, ne se sentent pas menacés et passent à la question suivante.

Pour tester cette hypothèse, les chercheurs ont pris un nouveau groupe d’étudiant·e·s, et leur ont proposé le même test difficile, en les prévenant : « Contrairement à ce que vous avez pu entendre dire, les filles réussissent ce test aussi bien que les garçons ».

La différence entre les filles et les garçons a alors disparu complètement. C’est donc bien l’angoisse du stéréotype qui empêchait les filles de réussir à leur mesure.

Différentes équipes françaises travaillent sur la menace du stéréotype. Leurs conclusions, comme celles de Steele aux États-Unis, remettent en question l’idée d’un déterminisme biologique qui empêcherait les femmes de réussir dans les matières scientifiques.

→  actions : former, de manière systématique, obligatoire et évaluée, les enseignant·e·s et les conseillèr·e·s d’éducation à la « menace du stéréotype ».

· Faut-il faire des actions mathématiques spécifiques pour les filles ?

On a longtemps pensé que la mixité suffirait à réaliser l’égalité des sexes à l’école. Il suffit de regarder les choix d’orientation différenciés des filles et des garçons pour comprendre que ce n’est pas aussi simple.

Certaines études ont montré le renforcement des stéréotypes de sexe dans les groupes mixtes, avec pour effet la diminution des performances scolaires, des garçons dans les matières dites « féminines » et des filles dans les matières dites « masculines », ainsi que, pour ces dernières, une détérioration de l’estime de soi. Une autre étude met en évidence le fait que les résultats des garçons sont d’autant meilleurs que le pourcentage de filles dans l’école est élevé. L’enquête CEDRE 2014 sur le niveau atteint en mathématiques en fin de troisième montre que l’anxiété des élèves est fortement liée à la crainte de mauvaises notes (78%) alors qu’ils ont une image positive de la discipline. D’autre part l’écart de performance entre filles et garçons se réduit par rapport à l’enquête de 2008 et les filles réussissent aussi bien que les garçons les items ouverts mais moins bien les QCM. La nature des épreuves a certainement une influence sur les résultats des élèves.

La mixité à l’école nous semble un acquis important et récent (loi Haby juillet 1975) qu’il peut paraître étonnant, voire rétrograde, que femmes et mathématiques préconise des actions mathématiques spécifiques pour les filles. Il n’est nullement question de prôner un retour à des classes non mixtes. La mixité est nécessaire pour progresser vers l’égalité mais elle n’est pas suffisante et doit être accompagnée.

A travers les actions qu’elle organise en direction des filles uniquement, l’association a simplement pour but de manifester aux filles un intérêt spécifique pendant un temps limité, de leur permettre de faire des mathématiques avec plus de confiance en elles, de leur accorder un temps de liberté pour réfléchir sereinement à leur avenir et de parler librement.

  • Une journée « Filles et maths : une équation lumineuse » s’adresse à une centaine de collégiennes, lycéennes ou étudiantes. Près de 70 journées ont été réalisées depuis 2009, pour la plupart dans des universités.
  • Un « Rendez-vous des jeunes mathématiciennes » regroupe environ 25 lycéennes de première ou terminale S très motivées pendant un week-end autour d’étudiantes et de chercheuses.
  • Le « Forum des jeunes mathématicien·ne·s » a lieu chaque année, il a pour but de rendre plus visibles des doctorantes et post-doctorantes et de les encourager à avoir confiance en elles et à se sentir chez elles dans la communauté mathématique.

L’association est actuellement impliquée dans le groupe de travail IGEN – DGESCO – Académies de Paris et Créteil intitulé « Vers un enseignement sans stéréotypes de genre » afin de mettre en œuvre la Mesure 8 de la « stratégie mathématiques ». L’objectif est la réalisation d’une ressource pédagogique consacrée à l’effet des stéréotypes de sexe dans le cadre de l’enseignement des mathématiques. Ce document aura pour ambition de faire évoluer les pratiques de classe en fournissant des outils aux enseignant·e·s pour les aider à la fois à affiner leurs observations sur les stéréotypes et leur action, et leur proposer des exemples concrets de travaux possibles avec les élèves.

Actuellement, des actions spécifiques pour les filles nous semblent nécessaires. Elles pourraient être remplacées par des actions mixtes si le contexte était plus favorable, si les enseignant·e·s étaient mieux préparé·e·s.

Ainsi filles et garçons pourraient profiter pleinement et de la même façon de leur scolarité, de la maternelle au supérieur.

Pour en savoir plus sur les contributions d’autres associations ou sociétés savantes auditionnées : ici.

Rapport de la commission Villani-Torossian : ici