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A propos du film “comment j’ai détesté les maths”

Comment j’ai adoré (ou pas) le film d’Olivier Peyon

Car c’est bien d’amour ou de détestation qu’il s’agit ! Trois filles et trois garçons parlent au début du film de leur détestation des maths en faisant les pitres. Des ados typiques, pleins de vie. En lesquels, probablement, et même s’ils sont américains, le cinéaste se reconnaît avant d’entamer à l’âge adulte une sorte de voyage initiatique au pays des mathématiques, qui commence en Inde, sous la mousson, au dernier congrès international des mathématiciens. Qui saute d’un continent à l’autre, comme font les mathématiciens. Qui arpente les chemins d’Oberwolfach, le centre de rencontres mathématiques en Forêt Noire, passage obligé des “vrais” mathématiciens. Qui s’attarde sur de magnifiques images de chars à voiles sur une plage embrumée. Qui se retrouve à Manhattan comme en conquérant, envahit les salles de marché… car les mathématiques sont partout. On y rencontre une foule de personnages fantastiques, fascinants. Il faut citer Cédric Villani en premier, bien sûr, mais aussi François Sauvageot, qui apparaît comme une sorte de magicien, transformant tout en mathématiques. Anne Sieti, psycho-pédagogue, joue le rôle de bonne fée qui vous donne les clés après vous avoir averti des difficultés qui vous attendent : “Entrer dans la mathématique, c’est risqué”, dit-elle. De fait on n’est pas sûr que les amphis pleins d’étudiants, les écoliers en rangée, que le film capte par moments, se sentent prêts à l’épreuve. “On peut s’en servir [des mathématiques] pour échapper à la folie du monde ou aller au-delà des étoiles … “, dit François Sauvageot.

Le film s’organise toutefois peu à peu autour d’un problème qui nous touche tous, mathématiciens ou non : la crise financière. Il s’interroge sur le rôle que les mathématiques y ont joué. Cette fois-ci tout n’est plus blanc ou noir, on sort du monde féerique pour se plonger dans la réalité. Et l’émotion, la vraie, celle qui touche tout un chacun devant les malheurs de ses proches et non celle qu’éprouve le mathématicien à voyager dans des mondes imaginaires, est brusquement présente, furtivement.

Ce serait bien dommage de bouder son plaisir ! Les prises de vue sont magnifiques et c’est une sorte de divine surprise que de voir un film sur les mathématiques de cette qualité. La fascination qu’on éprouve devant les mathématiciens transformés en autant de personnages mystérieux, son rythme soutenu, permettent d’espérer que le “grand public” sera au rendez- vous. Il faut aller le voir, qu’on soit mathématicien ou non. Il faut en parler. Il faut en profiter pour s’interroger plus avant.

Car la menace, pour les mathématiciens, ce serait d’être si contents qu’on parle d’eux qu’ils en perdraient tout sens critique. Or les questions ne manquent pas, dont la première, qui est d’ailleurs en toile de fond dans le film, est la désaffection des étudiants pour les mathématiques. Elle est reprise par les médias. Ce n’est évidemment pas au film d’y répondre. Bien au contraire, on ne peut que remercier le cinéaste de lancer la discussion. Celle-ci est d’ailleurs prolongée avec un site en cours de construction sur Arte : //wtfmaths.com/ . Et là, sans qu’on puisse invoquer la liberté du regard du cinéaste, sans qu’on soit entraîné par la beauté des images ou le rythme du film, on est confronté à une vision des mathématiques à laquelle il me semble difficile d’adhérer. Visiblement les mathématiques y sont assimilées à quelques grands esprits qui prononcent des paroles mystérieuses. Est-ce vraiment le monde de la recherche aujourd’hui, alors que celle-ci est de plus en plus collaborative ? Est-ce vraiment le moyen d’attirer les jeunes vers les mathématiques ? Et dans quel but ? Et d’ailleurs quels jeunes ?

Car le pays fantasmatique des mathématiques apparaît comme un pays d’hommes, où seules quelques pédagogues ont droit de cité. Une image qu’il faudrait dépasser dans les commentaires et débats, sans parler du fait qu’elle n’est ni conforme à la réalité ni vraiment agréable pour les mathématiciennes professionnelles. Faute de quoi c’est un message bien négatif qu’on envoie à la moitié de la population, qui risque de faire en partie boule de neige dans l’autre moitié, et ceci justement au moment où on essaie d’attirer les jeunes.

Le 26 novembre 2013

Aline Bonami